Cameroun : Aux sources du problème anglophone
Le protectorat signé en juillet 1884 entre le gouvernement allemand et les chefs traditionnels douala crée l’entité politique du Kamerun. La défaite allemande au terme de la première guerre mondiale donne lieu à un partage de ses territoires. La Société des Nations confie à la France et au Royaume-Uni l’administration conjointe du Kamerun. Le problème anglophone et nombre d’autres faiblesses actuelles du Cameroun plongent leurs racines dans l’époque coloniale.
Durant les régimes du mandat et de la tutelle, chacun des territoires administrés est façonné selon la culture du colonisateur. Il en résulte des différences majeures de culture politique. Dans la partie sous administration britannique, l’anglais est la langue officielle. La justice (Common Law), le système éducatif, la monnaie et les normes réglementant la vie sociale épousent le modèle britannique. La pratique du gouvernement indirect (indirect rule) permet le maintien des chefferies traditionnelles et favorise l’éclosion d’une forme d’autogouvernement, si bien qu’avant l’indépendance la liberté de la presse, le pluralisme politique et l’alternance démocratique existent dans la partie anglophone. Elle est gérée comme faisant partie du Nigéria et plusieurs membres de l’élite anglophone du Cameroun britannique sont ministres dans les années 1950 au sein du gouvernement nigérian.
A l’opposé, la partie francophone est directement administrée par la France suivant le modèle assimilationniste, même si là aussi une sorte de gouvernement indirect se pratique dans les rapports entre colonisateurs et élites traditionnelles, en particulier dans le Nord du pays. Le français y est parlé et les normes sociales, juridiques et politiques de la métropole façonnent le projet politique centraliste des régimes qui lui succèdent. De plus, engluée dans une guerre totale contre le mouvement nationaliste (Union des populations du Cameroun, UPC) qui conteste la présence française, la partie francophone est moins avancée sur le plan démocratique.
Le processus ayant conduit à la réunification des deux Cameroun est le nœud du problème anglophone. La partie francophone obtient l’indépendance le 1er janvier 1960 pour devenir la République du Cameroun. La partie britannique est constituée du Cameroun méridional britannique (Southern Cameroons) et du Cameroun septentrional britannique (Northern Cameroon). Lors des référendums du 11 février 1961, le Northern Cameroon choisit de se rattacher au Nigéria et le Southern Cameroons à la République du Cameroun. Le Southern Cameroons devient indépendant le 1er octobre 1961 en se rattachant à la République du Cameroun.
Au moment du référendum de 1961, le paysage politique au Southern Cameroons est déjà dynamique. Selon des historiens de renom, la majorité de la population aspire à l’indépendance. Mais le Royaume-Uni et des pays du tiers-monde s’y opposent, au motif que le Southern Cameroons ne serait pas économiquement viable et qu’il faut éviter de créer des micro-Etats. Ils plaident pour le vote en faveur du rattachement au Nigéria. Ainsi, l’ONU limite le référendum à deux options : le rattachement du Southern Cameroons au Nigéria ou la réunification avec la République du Cameroun, excluant l’option de l’indépendance.
Les principales élites politiques anglophones, Emmanuel Mbella Lifafa Endeley, John Ngu Foncha, Solomon Tandeng Muna et Agustine Ngom Jua, plaident à l’ONU pour un Etat indépendant du Southern Cameroons, ou à défaut pour une indépendance temporaire pouvant leur permettre de négocier par la suite les termes du rattachement en meilleure posture. L’option de l’indépendance étant écartée par l’ONU, deux camps s’opposent durant le référendum. Endeley, le chef du Kamerun National Congress (KNC), fait campagne pour le rattachement au Nigéria. Foncha, le chef du Kamerun National Democratic Party (KNDP), qui s’était retiré du KNC en 1955, Muna et Jua font campagne pour la réunification avec la République du Cameroun. Porté par ces figures politiques de premier plan, et par une certaine peur de se voir absorber par le géant nigérian, le vote en faveur de la réunification l’emporte.
"Aujourd’hui encore, le non-respect des promesses de la conférence de Foumban [...] fait partie des griefs des militants anglophones."
Les représentants du Southern Cameroons et le président de la République du Cameroun, Amadou Ahidjo, se retrouvent à Foumban (à l’ouest de la partie francophone) du 17 au 21 juillet 1961 pour négocier les termes de la réunification. Aujourd’hui encore, le non-respect des promesses de la conférence de Foumban, qui n’aboutit pas à un accord écrit, fait partie des griefs des militants anglophones. Alors que les représentants anglophones croient participer à une constituante devant aboutir à la rédaction d’une constitution garantissant un fédéralisme égalitaire et une large autonomie des Etats fédérés, Ahidjo leur impose une constitution toute rédigée qui accorde de larges compétences à l’exécutif de l’Etat fédéral au détriment des deux Etats fédérés (le Cameroun occidental et le Cameroun oriental). Les anglophones, en position de faiblesse, finissent par accepter le texte d’Ahidjo, n’obtenant qu’une concession sur la minorité de faveur.
L’Assemblée nationale de la République du Cameroun vote la Constitution fédérale en août 1961 et Ahidjo la promulgue le 1er septembre, alors que le Southern Cameroons est encore sous tutelle britannique. Le processus constitutionnel de réunification et l’abandon des Britanniques ont laissé aux anglophones l’impression d’avoir été dupés par les francophones, et explique aussi l’amertume des militants anglophones à l’égard du Royaume-Uni.
Photo - Ahmadou Ahidjo et John Ngu Foncha lors d'un diner à Foumban pendant la Conférence Constitutionnelle de Foumban du 17 au 21 juillet 1961.
*avec Crisisgroup.
Commentaires
Enregistrer un commentaire