Huit ans après son déclenchement, les autorités n’ont toujours pas réussi à mettre fin à cette guerre sanglante qui a déjà ôté la vie à plus de 6000 personnes.
Le cas de Richard Alemkeng, originaire de l’arrondissement de Fontem, dans le Lebialem, l’un des six départements de la région du Sud-ouest. Depuis 2023, il tente une opération pour « sauver » sa culture et son village.
Situé au carrefour entre les deux régions anglophones et celle de l’ouest francophone, le Labialem est l’un des départements les plus touchés par les violences.
Des civils y trouvent souvent la mort, s’ils ne sont pas enlevés, tout comme des personnalités et des fonctionnaires de l’État, par des ravisseurs qui demandent des rançons pour les libérer. Dans cette ambiance, des villages comme celui de Richard Alemkeng se sont vidés.
Le spécialiste en communication, installé dans la capitale politique du pays avant le début du conflit, est retourné dans son village après des années de violence et a trouvé « la désolation ».
Son village s’est vidé, et tout est désormais en friche. Il a lancé l’initiative "Njeh resetlement strategic project", visant à ramener les populations qui ont déserté les lieux.
L’opération consiste à offrir des kits constitués du petit nécessaire pour la réinstallation, et à remettre sur pied les infrastructures déjà en ruine, notamment les écoles, les hôpitaux et les routes devenues désuètes dans la zone.
Un an après, s’il se félicite de la réouverture de l’école de sa localité, il se plaint en revqnche du fait qu’au loin, on entende toujours des détonations, qui rappellent qu’une crise est en cours.
Cela décourage les populations qui veulent se réinstaller. « Avant le début de la crise, il y avait à peu près 25 000 personnes dans mon village. Mais aujourd’hui, je peux parier qu’il n’y a pas plus de 3000 personnes », confie M. Alemkeng, ajoutant que ceux qui ont le courage d’y rester sont dans des brousses, pour tenter de créer de nouveaux quartiers.
Violence quasi permanente
Bien que certaines zones contrôlées par les séparatistes connaissent une accalmie apparente, les populations des deux régions anglophones, y compris les grandes villes, sont toujours contraintes d’observer des "ghost towns", des opérations ville-mortes instaurées par les séparatistes et qui obligent les citoyens à garder marché et commerces fermés au moins une fois par semaine.
Des enlèvements de civils se poursuivent, ainsi que des attaques meurtrières. Dimanche, 26 mai 2024, aux environs de 20h, une nouvelle attaque dans un bar à Bamenda, le chef-lieu de la région du Nord-ouest a fait au moins 2 morts et une quarentaine de blessés.
Quelques jours plus tôt, le 20 mai, alors que le pays célébrait la 52e édition de la fête de l’unité, c’est Show Ayaba, l’un des leaders des groupes séparatistes actifs dans la région, qui a annoncé sur le réseau social X, l’assassinat du maire de Bello, une localité située à une trentaine de kilomètres de Bamenda. Les deux adjoints au maire ont également péri dans l’attaque, a-t-il précisé.
Les Séparatistes avaient interdit aux populations de participer à cette célébration. Rodrigue Tongue, président du club des journalistes politiques du Cameroun, pense qu’en menant cette attaque le 20 mai, les groupes armés voulaient s’attaquer à la symbolique de cette fête, qui, du point de vue historique, marque la remise ensemble des Cameroun francophone et anglophone pour former un État unitaire.
Les violences dans les deux régions anglophones du pays ont déjà couté la vie à plus de 6000 personnes depuis 2016, estime l’ONG Human Rights Watch.
Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA, dans son dernier rapport, estime qu'au moins 638 421 personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays en raison de la violence dans les deux régions, tandis que plus de 63 204 ont fui vers le Nigeria.
Lors de la dernière rentrée scolaire, les groupes armés ont menacé de s’en prendre à ceux qui prendraient le chemin des classes, demandant le boycott de l’école.
Selon Ocha, au moins 13 incidents violents contre l'éducation ont été signalés au cours des six premiers mois de 2023 et 2 245 écoles ne fonctionnent pas dans les régions anglophones, ce qui représente encore 36 % des établissements scolaires dans la zone.
Solutions inopérantes
Des revendications corporatistes d’enseignants et d’avocats déclenchées en 2016 ont tourné à des revendications séparatistes, après un an de ping pong entre les syndicats des deux corps de métier et les autorités qui ont fini par suspendre ces syndicats, qui étaient jusque là leurs principaux interlocuteurs.
L’État camerounais a semblé privilégier la voie militaire pour faire taire les voix dissidentes. Cette action militaire, du point de vue du journaliste camerounais Rodrigue Tongue a permis de changer la donne.
"La crise a changé de visage. Elle se confond parfois à des actes de banditisme au niveau opérationnel. De plus, les groupes armés semblent ne plus avoir de têtes à penser, chacun agit au gré des circonstances. Ce ne serait même pas abuser de ma part de parler de guerre asymétrique ", explique-t-il.
Malgré la baisse d’intensité, la force de feu des séparatistes reste de nature à nuire à la tranquillité. L’une des raisons, c’est le fait que ces groupes armés reçoivent des financements extérieurs.
Maître Emmanuel Nsahlai, un avocat camerounais basé aux États-Unis, s’est donné pour mission de les tracker.
Depuis 2019, l’avocat qui a récemment mis sur pied un centre d’assistance psychologique pour les victimes des violences dans les régions anglophones à Buea, intente des procès aux financiers de la crise anglophone basés à l’étranger.
Selon son propre bilan, il a déjà saisi le Département de la Sécurité Intérieure des Etats-Unis et le FBI, de plus de 187 plaintes contre les financiers de la guerre, dont dont une vingtaine se sont soldées par des condamnations.
"Nous avons également 36 plaintes déposées contre les séparatistes devant la Cour Pénale Internationale à La Haye", renseigne-t-il.
Maitre Nsahlai se plaint tout de même du fait que certains pays ne veulent pas coopérer et laissent certains financiers libres de leurs mouvements.
Le gouvernement camerounais essaie une opération Main tendue aux combattants, à travers une commission mise sur pied en 2018. En avril dernier, le patron de la structure a déclaré être sur le point de reverser à la vie civile, quelques 4000 ex-combattants qui ont fait leur reddition et qui ont été formés dans des métiers de reconversion.
Le chiffre prend en compte des ex-combattants de Boko Haram, et les responsables de la commission de désarmement ne précisent pas ce que cela représente en terme de proportion de combattants s’étant rendus aux autorités, bien qu’on ne sache pas exactement combien de combattants sont encore actifs dans les deux régions anglophones.
Mais des experts estiment que la violence ne pourra prospérer, du fait que la cause anglophone n’a pas supplanté la cause ethnique dans le pays. De ce fait, la plupart des groupes armés qui interviennent dans la région sont de petite taille et organisés selon des critères ethniques.
En avril 2021, Ambazonia Defense Forces, l’un des principaux groupes armés affrontant l’armée dans la région, avait signé un accord visant un partage d’armes et de renseignements et de personnel avec l’IPOB, un mouvement séparatiste nigérian, opérant dans la région du Biafra, près de la frontière avec les régions anglophones du Cameroun.
Difficile de savoir quel impact a eu cette alliance sur le terrain. Mais sur le fond, la crise persiste, bien au-delà de l’aspect séparatiste, estime Njankouo Sandamoun, historien politique et chercheur à l’université de Yaoundé 1.
D’autres aspirations émergent au sein même de l’élite anglophone, pense-t-il, notamment au sujet de la représentativité au sein de la haute administration.
"Depuis l’unification des deux parties du pays en 1972, il n’y a jamais eu, par exemple, un ministre de la défense, originaire des régions anglophones. Au ministère des Finances, on n’en a jamais eu. La santé publique, c’est pareil, la police aussi, tout comme les impôts".
Au sein de la population, estime Rodrigue Tongue, « les gens veulent retourner à un système autocentré. » L'absence de ce système enrichit le sentiment séparatiste chez les ultras et de l'empathie (sans être pour la sécession) pour les groupes armés parfois", commente le président du club des journalistes politiques du Cameroun.
Les autorités ont tenté de résoudre le problème en prenant comme résolution, lors du « Grand Dialogue National », tenu en 2019, d’accorder une autonomie spéciale aux deux régions anglophones.
Cette spécificité déjà prévue dans la constitution de 1996 devrait permettre aux deux régions anglophones d’élaborer des politiques publiques dans les domaines de l’éducation et de la justice. Elles devraient bénéficier d'une chambre de représentants et d'une chambre des chefs traditionnels.
Mais depuis l’adoption de la loi en 2019, les choses n’ont pas assez avancé. "Au plan institutionnel et politique, le Public Independent Conciliator a été nommé. Les Assemblées exécutives régionales ont été mises en place, mais au plan pratique, on n'observe pas une grande différence entre ce qui est fait dans les huit régions francophones et ce qui est fait au NOSO", explique Bertrand Iguigui, chercheur sur les questions de décentralisation à l’université de Douala.
Plusieurs résolutions du dialogue national de 2019, sensées résoudre la crise dans les régions anglophones, n’ont pas encore été mises en pratique, renchérit Njankouo Sandamoun. La raison est que « le casting de ce dialogue n’a pas été bien fait ».
Une solution définitive devrait venir "d’un vrai dialogue national, sans tabou et sans un agenda imposé aux autres parties prenantes" estime Rodrigue Tongue.
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