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Ayah Paul Abine, l'homme qui dit non à la modification de la constitution en 2008

Ayah Paul Abine, décédé cette nuit du 24 décembre 2024 dans un hôpital de Buea, était le seul député du Rdpc sur 151 qui avait refusé de voter en 2008 la modification de la constitution qui faisait sauter le verrou de la limitation des mandats. Cette modification avait ouvert la route à Paul Biya pour devenir le président à vie du Cameroun 

Le magistrat, Ayah Paul Abine et ses avocats 

Je publie les écrits du Journal Mutations d'avril 2008 intitulés « Ayah Paul Abine : L’opposant de l’intérieur » 

« D’où vient cet homme qui embarrasse la hiérarchie de son parti, le Rdpc ?

Il aurait sans doute préféré éviter la posture de star que lui confère aujourd’hui son refus de valider la modification de la constitution, dans une Assemblée nationale où le parti au pouvoir, depuis l’ouverture de la 8e législature, a maille à faire respecter la discipline au sein de ses rangs. On était jusque-là habitué aux sorties de Adama Modi Bakary qu’un journaliste en service au sein de l’organe d’information de cette formation politique a fini par qualifier de "fou du Rdpc". Mais Ayah Paul Abine s’est retrouvé sur les devants de la scène à la faveur de cette modification de la loi fondamentale annoncée par le président de la République au cours de son discours de fin d’année le 31 décembre dernier. En s’opposant à cet exercice qui selon lui, "ramène notre pays 200 ans en arrière". Présenté comme un esprit brillant, il a à cet effet été major de sa promotion à l’Enam en 1976, ce qui lui avait valu le privilège de recevoir les " félicitations à mains propres de l’ancien président Ahmadou Ahidjo qui était descendu à l’Enam pour cela ", il partage sa vie entre sa ville de Akwaya qu’il dit " être facilement accessible par le Nigeria que par Mamfé le chef lieu du département ", Yaoundé pour les sessions de l’Assemblée nationale et Buéa où travaille son épouse rencontrée l’année de son entrée à la section magistrature de l’Enam en 1976. 

Ce magistrat hors hiérarchie de 57 ans, qui s’est mis en disponibilité de la Fonction publique pour embrasser une carrière politique, n’a pas eu peur d’affronter la pression et l’adversité des siens. "Je suis seul contre 150" dans cette bataille où le parti au pouvoir ne voulait voir aucun des siens manquer à l’appel. Ils étaient en effet 150 pour voter la loi le 10 avril 2008 sur les 151 députés que compte désormais le Rdpc au palais de verre de Ngoa-Ekellé. Moins Ayah Paul Abine. Originaire d’Akwaya dans le département de la Manyu, province du Sud Ouest, une région plus facile d’accès par le Nigeria que par Mamfé, le chef lieu du département, Ayah Paul a préféré abandonner les bancs de l’Assemblée ce 10 avril pour se rendre auprès des siens qui, disait-il, faisaient face à "des problèmes avec le voisin nigérian". Convictions C’est à Buea, en route pour Akwaya qu’il apprendra qu’une de ses collègues, Emilia Monjowa Lifaka, avait voté en ses lieu et place pour la modification de la constitution. Ce qui ne manquera pas de provoquer l’ire de "l’élu rebelle" qui en dégagera immédiatement sa responsabilité : "Je n’ai laissé aucune procuration. Je n’ai pas donné de consigne de vote à qui que ce soit. Je suis formel là-dessus" avait-il martelé. Sur la réaction de Ayah Paul Abine, l’un de ses collègues du parti au pouvoir, qui sous le couvert de l’anonymat, veut voir dans sa réaction "la déception d’un homme qui, à son deuxième mandat au sein de l’institution, ne s’est toujours contenté que de strapontins". 

Ce qui fait sourire l’intéressé qui affirme avoir ses convictions, lui qui affirme être arrivé à la politique par passion et par souci d’aider les siens. Il aurait bien pu poursuivre une carrière de magistrat qu’il a interrompu alors qu’il était Vice président de la Cour d’appel de Buéa. Des convictions partagées par l’un de ses collègues de la Commission des Affaires étrangères qu’il dirige. "On avait déjà eu maille à partir avec lui au cours de l’examen en novembre 2007 du projet de loi autorisant le président de la République à ratifier l’accord de Cotonou, parce que le projet était arrivé sans une copie de l’Accord". Ce magistrat de formation qui a gagné les rangs de l’Assemblée nationale en 2002, interrompant une carrière qu’il a exercée pour l’essentiel dans la partie anglophone du Cameroun (dans les villes de Nkambé, Mamfé, Kumba…), comme le veut notre système judiciaire, est réputé être assez droit dans ses convictions. Ce qui lui a permis de résister à la pression qui venait non seulement du groupe parlementaire Rdpc. Mais surtout de la présidence de la République et du chef du Gouvernement qui ne tenait sans doute pas à voir venir cette fronde de son Sud-Ouest natal dans une bataille où chacun des pontes du régime se battait pour présenter le meilleur bilan du vote des élus de sa région. 

On avait dans ce cadre noté que les députés se regroupaient désormais par province. Est-ce ce qui a donc poussé les barons du parti au pouvoir à organiser ce vote au nom de l’élu de la Manyu pour offrir à Paul Biya, qui n’en avait sans doute pas besoin, un vote à "la soviétique" pour cette adoption de la modification de la loi fondamentale? Sur la base d’un document qui aujourd’hui suscite la curiosité des différents services de renseignements, en raison des diverses irrégularités qu’il présente. Ayah Paul Abine, en prenant à témoin certains chefs de missions diplomatiques accrédités à Yaoundé, avait déjà tenu lundi dernier à dégager sa responsabilité de tout document tendant à prouver d’une façon ou d’une autre qu’il avait apporté sa caution à une entreprise à laquelle il était ouvertement opposé. Le 4 avril 2008, après l’annonce de la réception du projet en plénière, il n’avait pas été admis à la réunion du groupe des députés du Sud Ouest qui étaient réunis dans le cabinet de l’autre élu de la Manyu, Rose Abunaw Makia, Vice présidente de l’Assemblée nationale, au 4ème étage de l’institution dans le cadre des stratégies à mettre sur pied pour le vote du projet de loi. Sa position n’a pas changé. Sur les caractéristiques de la "procuration" faite en son nom telles qu’elles lui ont été communiquées au téléphone, il a été catégorique : "C’est un faux document". Les auteurs de la forfaiture n’ayant sans doute pas remarqué que le député de la Manyu faisait suivre sa signature d’une date comme il l’indique lui-même. De nombreuses années de formation et surtout d’exercice de la profession de magistrat ont sans doute eu raison de ses "fossoyeurs". La "rébellion" d’un élu du Rdpc qui était partie pour être un événement parmi tous ceux que vit le landernau politique camerounais, prend aujourd’hui des allures d’une affaire d’Etat, mettant en cause une institution, l’Assemblée nationale, qui entame quelque peu sa crédibilité dans une histoire où tout semblait pourtant avoir été véritablement verrouillé. Aucun crime n’est parfait! »

Daniel Essissima  | Mutations

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